"Ils
viennent d'une terre lointaine, des confins des ciels; IHVH-Adonaï avec
les engins de son exaspération, pour saboter toute la terre."
(Bible, Isaïe XIII - 4, 5)
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Elohïm = Dieu ?

Nous allons entrer dans un surprenant postulat : "Dieu n'est pas le créateur des cieux et de la terre".
Quinze
principales lectures françaises de la Bible, c'est beaucoup ! S'il faut
en sélectionner une, il y a l'embarras du choix. S'il faut les comparer
et en faire la synthèse, pour qu'elles se complètent au lieu de se
contredire, c'est un travail de Bénédictin ! Travail ingrat, qui
s'avère pourtant indispensable à une saine approche, et travail
irritant, qui montre comment l'hébreu (pour l'Ancien Testament) et le
grec (pour le Nouveau Testament), langues très spécifiques des textes
bibliques originaux, résistent aux traductions et autorisent de
redoutables fantaisies. La lecture de la Bible transcrite en français
est donc plus ou moins flottante et incertaine. Elle oblige au jeu
aléatoire qui consiste à s'approcher de la vérité en traquant l'erreur.
Bon courage !
Le livre entier : <<ICI>>
Dès
le départ, on est confronté à ce problème-là, précisément à propos du “
Dieu créateur “. La Bible entre directement dans le vif de son sujet.
Son troisième mot est le nom de l'entité centrale et capitale dont elle
va abondamment relater les manifestations. Treize versions françaises
sont d'accord pour dire que ce nom primordial est : DIEU. Mais la vraie
Bible est écrite en hébreu, et c'est en hébreu qu'elle délivre son
véritable message. A commencer par le nom autour duquel tout son
message gravite et s'articule. Ce nom n'est pas DIEU. C'est ELOHIM.
Examinons
le premier verset de la Bible. Pour l'intégrer, sans l'altérer, dans
nos structures mentales, qui ne correspondent pas à celles de la
culture hébraïque, il faut lui faire subir deux opérations simultanées
: transcrire, en lettres latines, sa lecture phonétique, et inverser le
sens de lecture droite-gauche en gauche-droite. Voilà ce que cela donne
: « Bereshit bara Elohim et ha shamaïm vé et ha éretz » C'est encore de
l'hébreu, mais il est occidentalisé dans la forme. En voici la
traduction, par Dhorme : « Au commencement Elohim créa les cieux et la
terre », et par Chouraqui : « Entête Elohîm créait les ciels et la
terre »“.
Contrairement à ce que l'on
pourrait croire, le mot DIEU, que l'on trouve ici dans les autres
versions, n'est pas la traduction du mot ELOHIM. Un nom propre ne se
traduit d'ailleurs jamais. Enlever ELOHIM et le remplacer par DIEU
n'est pas innocent. C'est un acte de désinformation !
En Droit, le nom est une appellation propre, un attribut incessible,
imprescriptible et protégé, de la personnalité qu'il désigne et
identifie. Dans Treize versions françaises sur quinze, l'entité
agissante de la Bible est privée du droit, élémentaire et fondamental,
d'être identifiée sous son véritable nom. Ce n'est pas correct. Mais ce
qui l'est encore moins, c'est que le lecteur de l'une ou l'autre de ces
treize versions est privé du droit, lui aussi élémentaire et
fondamental, de connaître le véritable nom de l'entité à laquelle il
s'intéresse. Il y a tromperie !
Est-ce vraiment si important et si grave ? Après tout, l'entité nommée
ELOHIM par les rédacteurs hébreux de la Bible ne peut elle être
valablement appelée DIEU par la grosse majorité des traducteurs
français de cette même Bible ? Cela ne revient-il pas au même ?
Sûrement pas !
On observe avec étonnement que le nom ELOHIM, qui est le plus important
de la Bible, est le seul à être radicalement éjecté de la majorité des
traductions françaises, alors que la multitude des autres personnages y
gardent chacun son nom propre, à peine occidentalisé, dans certains
cas, pour en faciliter la prononciation.
Découvrons-nous, en cela, une manipulation dont l'énormité ne se
justifierait que par un enjeu non moins considérable ?
En attendant, voilà qui éclaire notre provocant postulat : « Dieu n'est
pas le créateur des cieux et de la terre ».. Un postulat étant un
principe premier indémontrable et non démontré, le nôtre cesse d'en
être un, puisqu'il est démontré, du haut de son ancestrale autorité,
par la vraie Bible. En effet, Dieu ne peut pas être le créateur,
puisque ce créateur est Elohim. Cette fois, on sort du trou noir : le
postulat initial de la Bible est correctement exprimé. Et, s'il reste
un scandale, c'est de faire dire, à la Bible, autre chose que ce
qu'elle dit.
DIEU : un héritage de bric et de broc
Le
mot DIEU s'est glissé dans la langue française, au IX~ siècle, après
avoir fait ses classes en latin. Il était issu d'une famille nombreuse
dont le lointain ancêtre, DEI, remontait à une souche indo-européenne.
De tout temps, l'ancêtre DEI a exprimé la lumière du soleil et les
phénomènes naturels qui s'observent dans et sous le ciel.
L'aîné de cette famille très ancienne est notre mot JOUR. Il s'est
modelé pour un usage courant en partant du latin DIURNUS, par l'érosion
phonétique de ce mot : DI-OURNOUS, I-OURNOUS, I-OUR, JOUR. L'usage
distingué a gardé la forme DIURNE. Dans le même temps, la contraction
du mot DIURNUS à sa première syllabe DI, engendrait le latin DIES, qui
se traduit aussi par JOUR, et que l'on retrouve dans LUN-DI (jour de la
Lune), MAR-DI (jour de Mars), et ainsi de suite pour toute la semaine,
comme dans Ml-Dl, QUOTI-DI-EN, MERI-DI-ONAL.
Le second fils de la famille DEI a bénéficié d'une belle promotion.
C'est JUPITER, formé de I-OUR et de PATER, le JOUR PERE, autrement dit
le JOUR qui, par la lumière du soleil, engendre tout ce qui existe.
Plus tard, par une interversion de sens et une extrapolation, le JOUR
PERE deviendra le PERE DU JOUR...
Les Romains ont adopté, sous le nom de JUPITER, le ZEUS des Grecs. Dans
la foulée, le ZEUS grec, qui se prononçait ZE-OUS, a glissé jusqu'au
DEUS latin, prononcé DE-OUS. Et c'est ainsi que, recentré en français
sur la racine DI, déjà relevée dans DI-URNUS et Dl-ES, le vocable DIEU
a pris naissance du latin DEUS. La racine DI subsiste encore dans le
latin DI VUS, qui a donné deux branches françaises : d'une part DEVIN,
DEVINER, et d'autre part DIVIN, DIVINITE, avec un retour en boucle sur
DIVINATION.
Le DEUS latin est cousin du THEOS grec qui s'est conservé, en français,
dans ENTHOUSIASME, PANTHEON, ATHEE, POLYTHEISME, MONOTHEISME,
PANTHEISME, APOTHEOSE, THEOLOGIE, THEOCRATIE, THEOSOPHIE... Or, le
THEOS grec, qui se veut plus savant que le banal DEUS latin, mais qui a
le même sens, se rapporte lui aussi à ZEUS, avec un rappel de la racine
grecque THAW, qui signifie CONTEMPLER. Cette racine THAW prolifère dans
des mots tels que THEORIE, THEATRE, etc. On peut aisément vérifier tout
cela par l'étymologie, une science précieuse qui permet de connaître le
sens premier des mots, au moment de leur naissance. En employant le mot
THEOS, à l'époque d'Archimède, puis le mot DEUS, à l'époque de Jules
César, le Grec et le Romain ne parlaient pas du même sujet que nous,
lorsque nous utilisons le mot DIEU. Ils évoquaient la figure
allégorique ZEUS-JUPITER qui, par la mythologie, synthétisait les
données de l'astronomie de leur temps (tournées plutôt vers
l'astrologie) celles des forces de la nature, des saisons et des
climats, celles des phénomènes atmosphériques, météorologiques
dirions-nous aujourd'hui, le tout localisé globalement dans le CIEL,
c'est-à-dire, très prosaïquement, au-dessus de la terre et des hommes.
Mais les anciens ne s'en tenaient pas au niveau des pâquerettes. Leur
ZEUS-JUPITER-THEOS-DEUS les amenait à des spéculations intellectuelles
et philosophiques. Au IV~ siècle avant Jésus-christ, Aristote, pour ne
citer que lui, en a tiré un concept qui a fait fortune. On sait qu'un
concept est une abstraction qui n'a pas, en soi, de réalité objective.
C'est le pur produit d'un raisonnement. Aristote a pu, ainsi, élaborer
la théorie de l'unité de l'univers, et d'un” moteur “, lui aussi
unique, de ce grand tout. Mais le brave Aristote a balancé entre la
transcendance et l'immanence. Dans le cas de figure de la
transcendance, il plaçait son ZEUS-moteur hors de toute compréhension
et de toute atteinte, dans l'immuable perfection de l'astronomie et de
la géométrie combinées. Dans le cas de l'immanence, il insérait son
ZEUS-moteur dans la nature, intrinsèquement, en le confondant avec les
lois physiques qui la régissent d'une manière rigoureuse et invariable.
Dans les deux cas, le ZEUS idéal d'Aristote restait le grand inconnu.
L'imagination, s'étant mise de la partie sur le vieux fonds
Zeus-Jupiter amélioré par le concept d'Aristote puis remodelé par une
assimilation mythologique du judaïsme puis du christianisme, a bientôt
fait, de l'ancienne figure gréco-latine, le DIEU syncrétique dont nous
avons hérité. Un Dieu fourre-tout issu du mélange de plusieurs systèmes
idéologiques ou religieux. Un héritage de bric et de broc. Ce Dieu-là
est devenu un auguste vieillard à barbe blanche, assis, non plus sur
l'Olympe, mais sur quelque strato-cumulus, pour l'éternité, un Père
Noël, omniprésent, omniscient, omnipotent, paré de toutes les qualités
et de toutes les vertus, incomparable (et par conséquent unique),
immatériel et insaisissable (et donc pur esprit), père, créateur et
maître d'un monde qu'il administre par les lois physiques naturelles et
par les lois morales, bref, l'Etre suprême par excellence.
Cette image s'est infiltrée dans les théologies et les philosophies.
Elle s'est même implantée dans la Bible ! Elle s'y est introduite par
le biais des traductions. Le vocabulaire gréco-latin, qui a supplanté
l'hébreu, portait ce Dieu-là dans ses structures intimes, ses gènes qui
(on l'a vu) proviennent d'expressions liées aux éléments...
élémentaires. La Bible en est défigurée ! Ou, plus exactement, on lui a
donné une figure qui n'est pas la sienne.
Les ornières du langage sont si profondes, que nous ne pouvons,
aujourd'hui, évoquer le mystère des causes premières et des fins
dernières, sans employer notamment en français, ce vocabulaire
d'origine gréco-latine si chargé de significations particulières. Pour
échapper à cette imprégnation culturelle, souvent doublée d'un
asservissement cultuel, il faudrait renoncer à ce vocabulaire, ou, à
défaut, en vérifier systématiquement l'étymologie. Et c'est toute la
difficulté des traductions, la Bible tenant, en hébreu, un langage
radicalement différent de celui des Grecs et des Romains, et,
maintenant, du nôtre. Un langage différent pour raconter une histoire
et délivrer un message totalement étrangers à la culture gréco-latine.
Deux siècles avant Jésus-Christ, quand les Septante ont traduit
l'Ancien Testament en grec, puis, quatre siècles après Jésus-Christ,
quand Jérôme a traduit la Bible en latin, après que le Nouveau
Testament fût passé de l'hébreu au grec, le contenu de la Bible a été
transvasé dans des langues qui ne correspondaient pas à son génie
propre.
Le premier verset de la Bible se lit ainsi dans la Vulgate (traduction
latine de Jérôme qui, au xvie siècle, a été réaffirmée texte canonique
de l'Eglise catholique): « In principio creavit Deus caelum et terram
».Nous nous éloignons du « Bereshit bara Elohim... » hébreu.
Le latin s'est répandu en Gaule par le moyen de la Vulgate, celle-ci
prenant une part déterminante à la formation de la langue française.
Ainsi donc nos ancêtres les Gaulois ont-ils appris, du latin de la
Vulgate, que Dieu est le créateur. Avec leur nouvelle langue (le
français naissant) c'est entré dans leurs structures mentales. Et c'est
encore profondément enraciné dans les nôtres.
Dès le départ, Elohim, l'entité essentielle de la vraie Bible, a été,
si l'on ose dire, défroquée. On l'a déguisée avec les oripeaux de
Zeus-Jupiter-Dieu. C'était la rendre méconnaissable.
ELOHIM un pluriel.., singulier
Le mot hébreu qui nomme l'entité première de la Bible est composé de
cinq lettres: aleph, lamed, hé, yod, mem. Après interversion du sens de
lecture et transcription en caractères latins, cela donne: ALHIM.
Du Ve au Xe siècle après Jésus-Christ, les Massorètes (des rabbins
dépositaires de la tradition ancestrale) ont ajouté, au texte hébreu de
la Bible, qui est dépourvu de voyelles, les ponctuations qui en
permettent, depuis lors, la vocalisation standard. C'est ainsi que,
dans le système massorétique, ALHIM se prononce ELOHIM. Cette
prononciation-là est retenue par la langue française tant écrite que
parlée. Elle colle parfaitement à l'hébreu.
Le mot ALHIM est formé du radical ALH et du suffixe IM. Le radical ALH
se prononce ELOHA, et se contracte dans la forme EL. En hébreu, le
suffixe IM marque toujours le pluriel. Le mot ELOHIM est très
précisément le pluriel du mot ELOHA, simplifié dans le mot EL.
Structurellement ELOHIM signifie donc “les ELOHA” ou “les EL “. Mais,
en hébreu, on ne dit ni “les ELOHA” ni “les EL “, on dit tout
simplement ELOHIM. C'est si vrai que si l'on dit, en français, “les
ELOHIM “, on s'offre un pléonasme... qui a au moins le mérite de
souligner le sens que le mot possède en lui-même.
Nous voici donc en présence d'un pluriel qui est incontournable. Ce
pluriel n'est pas le fruit de quelque divagation ésotérique plus ou
moins sulfureuse. Il est rigoureusement exact, en pleine pâte de
l'hébreu, et il est ouvertement connu. Le” Dictionnaire Larousse”
(édition de 1965 en trois volumes), pour ne citer que Cet ouvrage tout
à fait impartial, mentionne clairement:” Elohim, mot hébreu (...)
pluriel de el ou eloha... “Ce pluriel est connu, depuis toujours, par
tous ceux qui ont bien voulu prendre l'hébreu en considération. Mais ce
pluriel n'est pas accepté.
Il dérange. Il entraîne trop loin au goût de certains. Il est écarté,
dans la grosse majorité des traductions, parce qu'il est incompatible
avec le concept de monothéisme que l'on prétend tirer de la Bible.
ELOHA, EL et ELOHIM sont évacués ensemble au profit de DIEU. On se
débarrasse du problème en feignant de l'ignorer, et on conduit les
lecteurs des traductions ainsi édulcorées dans l'ignorance. Le
problème, c'est qu'on ne voit pas comment la Bible pourrait inventer le
monothéisme en présentant, en son centre, une entité composée de
plusieurs individualités, et même d'une multitude d'individualités.
Cherchez l'erreur ! Il y a, là, vraiment, un gros écueil...
Essayons, posément, d'aborder la question, en traçant un schéma, qui
résulte d'une étude serrée de la Bible, et qui se confirme dans
celle-ci, comme nous le constaterons. ELOHIM est un système complexe.
Ce système est un groupe d'individualités. Chacune de ces
individualités, prise séparément, se nomme ELOHA ou EL. L'ensemble
nommé ELOHIM constitue, lui-même, une unité caractérisée (une personne
morale) dont les actes se conjuguent au singulier, comme on le voit
souvent dans la Bible, à commencer par le Elohim créa... “du début de
la Genèse. Chaque individualité (ELOHA ou EL) est étroitement solidaire
de chacune des autres en particulier, et de toutes les autres ensemble
(ELOHIM). Il y a connivence totale, à tous les niveaux. Au sein
d'ELOHIM, chaque ELOHA-EL a une origine, une nature, des moyens, des
buts, une destinée identiques à ceux de l'ensemble. Il exprime,
représente et engage l'ensemble, au point d'être souvent identifié à
lui. C'est l'unité dans la multiplicité, et la démultiplication de
l'unité. Toutes proportions gardées, c'est la France et les
Français. A cette différence que, dans le système ELOHA-EL-ELOHIM, la cohésion semble sans failles...
Un ELOHA, un EL, dit le choeur des idées reçues, c'est un “dieu “(avec
une minuscule), et ELOHIM, c'est” Dieu” (avec une majuscule). Dans son
assimilation hâtive du contenu de la Bible abaissé au niveau de la
mythologie, le choeur des idées reçues veut se tirer d'embarras. Mais
il omet de préciser ce qui distingue un (petit) dieu du (grand) Dieu.
Il ne dit pas davantage comment il passe, des (petits) dieux pris dans
leur ensemble, au (grand) Dieu unique... Allons ! Il faut chercher
ailleurs.
Les étymologistes ont observé que, dans le creuset indo-européen des
langues, où l'hébreu a puisé une part de sa substance, une voyelle
suivie de la lettre “ L “indiquait l'objet éloigné ou l'être situé à
l'écart, voire à distance. Sur cette base, bien plus tard, le latin
ILLE devint notre pronom de la troisième personne IL, et dévia, par le
latin ALTER vers AUTRE, et par ULTRA vers OUTRE. Cette troisième
personne - qui est L'AUTRE - se confronte au MOI, qui s'affirme par le
JE, et au TOI que l'on aborde par le TU.
Le MOI et le TOI ont des relations directes. Ils distinguent, et
excluent presque, l'AUTRE, qui ne se situe pas d'emblée dans le cercle
de ces relations, parce qu'il est lointain ou/et différent. Si l'on
remonte cette piste, ELOHA-EL, c'est L'AUTRE, et, par conséquent,
intrinsèquement, ELOHIM, c'est LES AUTRES. Autrement dit, à une époque
extrêmement reculée, les hommes ont constaté la présence, sur la Terre,
d'une espèce d'êtres qui, pour eux, étaient LES AUTRES. Et c'est alors
que les Hébreux ont commencé d'élaborer la Bible, récit de l'expérience
privilégiée qu'ils ont eue avec LES AUTRES. Avec ELOHIM... C'est une
première réponse à la question: d'où vient la Bible?
IHVH le passé, présent dans le futur
Elohim
est donc le nom, d'abord générique, par lequel les premiers Hébreux
désignent l'entité complexe qui les prend à parti, et dont ils vont
noter les manifestations, pour en transmettre la mémoire. Un jour - et
c'est précisément l'une de ces manifestations -cette entité leur fait
connaître son nom spécifique. C'est une mise au point: - Vous m'appelez
Elohim. Soit. Mais sachez que, moi, je me nomme IHVH, et que ce nom
indique mieux ma nature.
La révélation du
nom IHVH intervient assez tard dans la chronologie biblique. douze à
treize siècles avant Jésus-Christ, croit-on. Elle est relatée (au
chapitre III du Livre de l'Exode) dans l'épisode célèbre du buisson
ardent, au cours duquel Moïse reçoit la mission de retourner en Egypte,
pour délivrer le peuple hébreu, et le mettre en marche vers la terre
qui lui est promise. La scène se passe en plein désert. Lisons-là dans
la version Chouraqui, qui serre le texte original hébreu au plus près.
Moïse garde un troupeau “au mont de l'Elohîm, au Horeb “. Notons que
cet endroit où, d'après la Bible, rien ne s'est encore produit, est
déjà connu, on ne sait pourquoi, comme étant” le mont de l'Elohîm “...
Tout à coup, Moïse voit un “roncier “qui brûle sans se consumer. Moïse
ne connaît pas d'autre éclairage que celui du feu, et pas d'autre feu
que celui qui brûle. Intrigué par le “prodige “, il s'approche. Et, du
sein de la lumière aveuglante, il entend une voix qui l'interpelle, qui
lui interdit d'approcher davantage, et qui se présente : “Moi-même,
l'Elohîm de ton père, l'Elohîm d'Abraham, l'Elohîm d'ls'hac, l'Elohîm
de Ia'acob! “, avant de l'envoyer affronter la redoutable puissance de
Pharaon. Moïse est perplexe. Voyons : cet Elohim dont les Hébreux ont
gardé le souvenir ne leur a plus donné signe de vie depuis quatre cents
ans, depuis les événements relatés, pour nous, à la fin du Livre de la
Genèse. Comment savoir si la voix qui sort du roncier est bien celle de
l'ancien Elohim ? Moïse demande, à son mystérieux interlocuteur, de
s'identifier d'une façon plus précise, afin que les Hébreux, qu'il
devra convaincre de le suivre, reconnaissent celui qui l'envoie. Et
c'est là (Exode III - 14, 15) que s'inscrit la révélation déterminante:
“Elohîm dit à Moshè : Ehiè asher èhiè ! - Je serai qui je serai. Il
dit: “Ainsi diras-tu aux Bénéi Israël: ‘Je serai, Ehiè, m ‘a envoyé
vers vous ‘. “Elohîm dit encore à Moshè: “Tu diras ainsi aux Bénéi
Israël: ‘IHVH (surchargé Adonaï), l'Elohîm de vos pères, l'Elohîm
d'Abrahâm, l'Elohîm d'ls‘hac et l'Elohîm de Ia‘acob, m ‘a envoyé vers
vous ‘. Voilà mon nom en pérennité, voilà ma mémoration de cycle en
cycle. “.
Treize versions françaises se livrent, sur le nom révélé, à un festival
de lapalissades surréalistes ou existentielles: “Je suis celui qui suis
“(Crampon, Jérusalem, Scofield), la même chose, mais en capitales
(Ostervald, Darby, Maredsous), “Je suis qui je suis!
(Osty, Dhorme), “Je suis celui qui dit:JE SUIS “(Synodale), “Je suis
celui qui est “(Segond), “Je me révélerai être ce que je me révélerai
être “(Monde nouveau - En capitales), “Je suis qui je serai “(T.O.B.),
“Je suis l'Etre invariable “(Kahn).
On doute que Moïse, et les Hébreux après lui, se soient contentés d'une
réponse désinvolte, et on doute que l'entité Elohim s'y soit abaissée.
En réalité, le nom que se donne Elohim est notre verbe ETRE, en hébreu
HAYAH, conjugué au futur : EHIE, je serai, puis IHVH, il sera. Cette
forme de projection dans le futur peut surprendre. Mais il faut savoir
que la pensée hébraïque ne fonctionne pas comme la nôtre. Pour
décomposer le temps, nous avons hérité, des grecs et des latins, la
formule
linéaire passé-présent-avenir. La pensée hébraïque ne distingue que ce
qui est terminé, achevé, et ce qui reste à faire ou à finir, le tout
étant simultanément PRESENT. Ainsi, lorsque Elohim dit “Je serai
“signifie-t-il à Moïse que, tel il était pour Abraham, Isaac et Jacob
des centaines d'années auparavant, tel il est resté maintenant, et tel
il demeurera dans l'avenir. C'est l'affirmation d'une reprise dans la
continuité : l'aventure déjà ancienne des Hébreux avec Elohim va se
poursuivre.
La version Kahn dit, fort pertinemment, que le nom que se donne Elohim
sera son “attribut dans tous les âges “. L'attribut complète le nom. Le
tétragramme IHVH (yod, hé, vav, hé) ne peut être dissocié du nom
Elohim, même s'il est cité seul. C'est son principal qualificatif. Il
en découle, incidemment, que tout ce qui concerne et caractérise
Elohim, notamment la pluralité, appartient à IHVH” continuité d'Elohim
Le tétragramme IHVH situe donc Elohim dans l'invariabilité, la
permanence et, dit-on, l'éternité. Le mot ETERNITE est entré dans la
langue française au XIIe siècle, et l'adjectif ETERNEL au XVIe siècle
seulement (c'est une invention très tardive), par le latin AEVUS,
durée, AETAS, durée de la vie, AETERNUS et AETERNITAS, qui dure toute
la vie. Leur sens s'est étendu, par la suite, à un concept absolu : ce
qui n'a ni commencement ni fin. Un défi à la pensée ! Moyennant quoi,
depuis le mouvement de la Réforme, certains traducteurs ont fait, de
l'adjectif ETERNEL, un substantif qui, se substituant à IHVH, désigne,
dans leur esprit, DIEU. La Bible, pour sa part, ignore, dans son texte
original, les mots ETERNITE et ETERNEL. Elle a des formulations, AD
OLAM, la durée qui vient, et AHAR, ce qui vient après, que Kahn traduit
par “tous les âges “, et Chouraqui par “pérennité “. Or, PERENNITE
vient du latin ANNUS, année, et de PERENNIS, qui dure toute l'année. Le
sens de ce mot s'est plus tard étendu à “ qui dure longtemps, ou
toujours “, TOUJOURS, c'est-à-dire tous les jours. La discussion sur
une différence entre PERENNITE et ETERNITE est-elle une vaine
finasserie ? Voire... Et l'adjectif ETERNEL, devenu substantif, peut-il
valablement prendre la place de IHVH ? Là-dessus les traducteurs sont
partagés. Il y a ceux, en majorité d'inspiration protestante, qui font
de l'ETERNITE et de l'ETERNEL une forteresse linguistique, conceptuelle
et religieuse dans laquelle se barricadent la pensée, la raison et la
foi ; et il y a les autres, aussi nombreux, qui restent ouverts à
l'aventure de l'esprit que leur propose la vraie Bible.
Interférences et confusions
Dans
le Livre de l'Exode (VI- 2,3), où l'on voit, en Egypte, commencer la
libération des Hébreux, on découvre que IHVH, le nom-attribut d'Elohim,
a bien été révélé à Moïse, mais qu'il a été précédé par un autre
nom-attribut: EL SHADDAI. Lisons la version Dhorme: “Elohim parla à
Moïse et lui dit: “Je suis Iahvé ! Je suis apparu à Abraham, à Isaac et
à Jacob comme El Shaddaï et par mon nom de Iahvé je n ‘ai pas été connu
d'eux “. Lisons aussi Chouraqui: “Elohîm parle (...) Moi, IHVH
(surchargé Adonaï) je me suis fait voir (. ..) en El Shaddaï. Mais sous
mon nom de IHVH (surchargé Adonaï) je ne me suis pas fait connaître
d'eux “. Les versions Osty et de Jérusalem font parler Dieu à la place
d'Elohim, mais comme les précédentes, elles respectent le nom “El
Shaddaï “qui figure bien dans le texte hébreu.
Ce nom est constitué du radical EL, qui forme par ailleurs ELOHIM, et
de l'épithète SHADDAI qui signifie “ montagnes “(au pluriel). Que
viennent faire, ici, ces montagnes associées à Elohim? N'est-ce pas une
métaphore pour dire qu'Elohim-Montagnes est difficile d'accès, parce
qu'il se tient de préférence dans les lieux abrupts et élevés, au
propre comme au figuré ? Dans la réalité du texte hébreu non déformé
par les traductions, le nom ELOHIM est connoté par la notion de “ lieux
élevés “ apportée par l'attribut SHADDAI. Il prend alors un sens élargi
: “les Autres, ceux des lieux élevés “. Dix versions françaises
ignorent cela en traduisant El Shaddaï par “Dieu tout-puissant
“(Maredsous, Darby, Crampon, Synodale, Monde nouveau, Segond,
Scofield), “Dieu fort, tout puissant “ (Ostervald), “Dieu puissant “
(T.O.B.), “Divinité souveraine “(Kahn). La version de Jérusalem (une
des quatre qui restituent El Shaddaï sans s'autoriser à le traduire)
écrit, en note, que “la traduction commune Dieu tout-puissant est
inexacte “.
Dans le texte hébreu, la première mention de El Shaddaï figure au Livre
de la Genèse (XVII- 1):”... Iahvé apparut à Abram et lui dit: “Je suis
El Shaddaï” (version Dhorme). Là-dessus, il transforme le nom d'Abram
en Abraham et il établit avec lui et sa future descendance “une
alliance perpétuelle “, un des actes fondateurs majeurs parmi les
événements que raconte la Bible.
Là, on ne comprend plus ! Normalement, pour ne pas semer la confusion
dans le cours du récit, le Bible devrait dire que c'est Elohim qui
s'adresse à Abram pour lui déclarer “Je suis El Shaddaï “, comme elle
le fait d'ailleurs en Genèse XXXV - 11 où c'est bien Elohim qui dit à
Jacob: “Je suis El Shaddaï “. C'est simple : il y a, d'abord, Elohim.
Puis, à l'usage d'Abraham Isaac et Jacob, il y a Elohim - El Shaddaï.
Enfin, pour Moïse et la suite, il y a Elohim -IHVH. C'est un étalement
chronologique progressif de la révélation. Mais la Bible défie notre
logique. Elle mélange allègrement les trois noms de son entité
centrale. Veut-on une démonstration formelle de ce genre de
manipulation ? Elle est dans le Livre de la Genèse (IV - 26) : Adam et
Eve viennent d'être expulsés de l'Eden, et ils procréent. Abel étant
mort, Seth prend sa place, et il a un fils, Enosh. “Alors on commença
d'invoquer le nom de Iahvé “(version Dhorme). La version de Jérusalem
précise que cet Enosh “fut le premier à invoquer le nom de Iahvé “ et
la version Chouraqui : "Alors, le nom de IHVH-Adonaï commençait à être
crié."
De deux choses l'une : ou bien le nom IHVH était invoqué (et donc
connu) dès l'époque adamique, puis au temps d'Abraham, ou bien il
n'était pas connu avant d'être révélé, bien des siècles plus tard, à
Moïse. La Bible se met ici en contradiction avec ses propres
affirmations ("Je me suis fait voir à Abrahâm, à Is'hac et à Ia'acob,
en Él Shadaï. Mais sous mon nom, IHVH (surchargé Adonaï), je ne me suis
pas fait connaître d'eux."Exode VI - 3 et on peut voir 'Dieu" qui parle
à abrahâm dans Genèse XVIII - 14 :"Une parole est-elle singulière pour
IHVH (surchargé Adonaï)?"),
. . On ne risque pas de s'en apercevoir si l'on se fie aux traductions,
dans lesquelles Elohim, El Shaddaï et IHVH, sont nivelés sous les
vocables DIEU, TOUT-PUISSANT, ETERNEL, SEIGNEUR. Enjouant sur ce
clavier, les traducteurs portent la confusion à son comble. Ils gomment
les interférences très complexes de la Bible. C'est une manière, assez
banale, d'éviter les questions embarrassantes.
IHVH est cité (par Dhorme) 149 fois dans l'Ancien Testament AVANT que
ce nom soit révélé à Moïse. Il y a manifestement utilisation
rétroactive de ce nom dans la rédaction ultime du canon hébreu. On le
devrait à une lutte d'influence entre factions Elohiste, Iaviste,
Sacerdotale, les trois sources mises en évidence, en 1753, par Jean
Astruc, médecin de Louis XV, dans son ouvrage: “Conjectures sur les
mémoires originaux dont il paraît que Moïse s'est servi pour composer
le livre de la Genèse “. Les rédacteurs de la Bible auraient donc, eux
aussi, tenté d'infléchir le message qu'ils entendaient transmettre.
Cela ne simplifie rien.
Ce texte est tiré du merveilleux livre de Roger VIGNERON intitulé "Elohim"
Le livre entier : <<ICI>>
Table des matières pour "Monothéisme" :
1 ) Genèse
2 ) Tu ne tuera point !
3 ) Les Archontes
4 ) Cet homme nommé "Dieu"
5 ) Trinité
6 ) Origine du mot 'Dieu"
7 ) Bizarreries
8 ) Jésus a-t'il existé ?
9 ) Quelques religions
10) La Femme et la religion
11) Déluge
Suite : Bizarreries
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