Inconscient
collectif : nous sommes tous reliés
Parut dans Psychologies.com, Décembre
2002, Erik Pigani
L’existence
d’une conscience collective bientôt prouvée ? Peut-être,
grâce à une expérience troublante menée dans le monde entier avec un
petit appareil censé détecter les émotions de groupe. Enquête sur cette
invention qui révolutionne nos
connaissances sur le psychisme.
C‘est
une petite boîte en métal, qui n’a l’air de rien d’autre qu’une
petite boîte en métal… Je pensais, en commençant mon enquête, me
retrouver devant un superbe alambic fluorescent et tintinnabulant au
milieu d’un bric-à-brac digne du cabinet d’un docteur Mabuse. Au lieu
de ça, rien que cette petite boîte connectée, tout de même, à un
ordinateur. Juste un ordinateur portable, tout simple et tout gris. Ce
fleuron de la technologie, premier brevet industriel de la
parapsychologie, ne ressemble à rien. Je fais comme le petit portable,
grise mine. Et ça se voit. « Vous vous attendiez à quoi ? » J’explique
à quoi.
Mais
il y a pire encore : cette petite boîte est faite pour
fonctionner n’importe comment. Son cœur est un composant électronique
conçu pour fabriquer du hasard… Pardon ? Ce n’est pas bien compliqué :
lorsque vous prenez une paire de dés et que vous les faites rouler sur
la table, vous fabriquez du hasard. Cet appareil fait la même chose,
mais de façon bien plus sophistiquée : il débite à toute vitesse des
suites de chiffres, au hasard. Gadget génial mais inutile ? Pas pour
tout le monde. En tout cas, pas pour les chercheurs qui participent au
Global Consciouness Project – le Projet conscience
globale qui,
paraît-il, est en train de révolutionner
toutes nos connaissances sur
la conscience humaine.
Notre esprit peut-il influencer le hasard ?
Tout
commence à la fin des années 60, avec un physicien, Helmut Schmidt,
alors directeur de recherche des laboratoires Boeing, aux Etats-Unis.
Boeing, la fameuse firme d’aviation. Schmidt obtient l’autorisation
d’utiliser son labo et ses compétences pour faire des recherches en
parapsychologie ! Esprit éminemment créatif, il invente le premier «
générateur numérique aléatoire », sorte de grosse caisse sur laquelle
des ampoules s’allument au hasard. En essayant de deviner quelle
ampoule va s’allumer, ce dispositif permet de faire des expériences de
voyance.
Encouragé
par le staff de Boeing, le physicien perfectionne son invention. Il
miniaturise la boîte, ajoute des rangées d’ampoules et change la règle
du jeu : il ne suffit plus de deviner quelles ampoules vont s’allumer,
mais d’essayer d’influencer par la
force de l’esprit l’ordre dans lequel elles s’allument. Cet exercice de
"psychokinèse" donne des résultats si étonnants qu’il provoque un
certain émoi dans la communauté scientifique.
Capter les émotions d’un groupe
Passons
sur les vingt et quelques années qui ont suivi, pendant lesquelles ce
générateur numérique a été testé des milliers de fois, et a servi
d’outil de recherche dans tous les laboratoires universitaires de
parapsychologie. Nous nous retrouvons en 1996 à l’université Princeton,
toujours aux Etats-Unis. Cette auguste institution abrite le Princeton
Engineering Anomalies Research, l’un des hauts lieux de la recherche
américaine. Le professeur Roger Nelson, psychologue, s’intéresse à ces
machines à fabriquer du hasard – qui n’en fabriquent plus par la force
de l’esprit. Pour un psychologue, c’était faire preuve d’une nette
ouverture, d’esprit justement.
Un
jour, il s’interroge sur la possibilité pour cet appareil d’être
influencé non par une personne, mais par un groupe.
Avec son fils Greg, informaticien expert en intelligence artificielle,
il met au point une nouvelle version du générateur numérique, le
générateur d’événements aléatoires, plus connu aujourd’hui sous le nom
de Egg. Premières expériences en groupe. On réunit une trentaine de
personnes dans une salle et on leur demande de chanter, de parler, de
s’amuser. L’Egg, placé dans un coin, fabrique du hasard à tout-va : le
graphique, semblable à un tracé d’électroencéphalogramme, qui s’affiche
sur l’écran de l’ordinateur, reste plat. Sauf lorsque tout le monde
fait la même chose en même temps, méditer par exemple. La machine
réagit alors comme si elle "captait" l’état d’esprit du groupe : le
graphique commence à dessiner une courbe. Intrigué, Roger Nelson
propose une hypothèse : lorsqu’un groupe
porte son attention sur un même événement, "l’esprit de groupe" devient
cohérent. Donc, si l’Egg est placé dans le "champ psychique" de
ce groupe, il est influencé par des émotions, comme le calme, la peur,
la joie, la concentration.
La terre entourée d’un champ psychique
Tradition
Depuis toujours, les grandes traditions et
philosophies spirituelles ont affirmé que toutes les consciences
humaines, animales et végétales, sont reliées les unes aux autres, et
que la Terre a sa propre conscience. C’est la Terre mère pour les uns,
Gaia ou Gê pour les autres. Ce concept a été repris par le père
Teilhard de Chardin, qui avait postulé l’existence d’une « noosphère »
– la sphère de conscience de la Terre.
D’autres
chercheurs, alertés par cette surprenante découverte, s’associent au
projet. En 1998, une quinzaine de Egg sont envoyés à autant de
scientifiques un peu partout dans le monde. Avec une intention bien
précise : un événement déclenchant une puissante émotion collective
peut-il être enregistré par toutes les machines simultanément ? Si oui,
cela confirmerait l’existence d’un champ psychique
planétaire, quelque chose qui ressemblerait à une
"conscience globale".
Les
premiers tests donnent des résultats immédiats. Ainsi, lors
d’événements comme les funérailles de Lady Di, les appareils, qu’ils se
trouvent aux Etats-Unis, en Chine ou en France, enregistrent des
variations du champ psychique. Au cours des trois années qui suivent,
le Global Consciousness Project prend une ampleur inespérée. L’appareil
obtient un titre de propriété industrielle, une grande première dans
l’histoire de la parapsychologie. A la fin de l’année 2002, le parc de
Egg sera passé de quarante à soixante-quinze machines. Deux d’entre
elles sont installées en France. Toutes sont reliées à l’ordinateur
central du laboratoire de Princeton via Internet, qui
enregistre automatiquement, heure après heure, les données
recueillies par chaque ordinateur. Le fonctionnement de ce réseau
pourrait être comparé à une électroencéphalographie de notre planète :
chaque fois qu’un événement collectif se produit, des fluctuations sont
enregistrées. Plus l’événement est fort et médiatisé, plus la
fluctuation est importante.
Le 11 septembre 2001, bien sûr, a
fait crépiter toutes les machines et a fait monter les courbes vers des
niveaux encore jamais atteints. Avec un détail que les scientifiques
n’avaient pas encore osé souligner, même s’ils l’avaient déjà remarqué
auparavant : sur les écrans des ordinateurs, les fluctuations de la
conscience collective ont commencé la veille. Oui, la veille ! Notre
champ psychique collectif aurait "perçu" l’événement avant qu’il ne se
produise.
Nous faisons partie d’un tout
Sur le Net
The Global Consciousness Project : rien,
concernant ce projet, n’est tenu secret. Les éléments d’analyse, les
données, les détails techniques, l’accès aux informations les plus
pointues sont à la disposition de tous les chercheurs sur le site
http://noosphere.princeton.edu
«
Avec cette expérience mondiale, nous sommes en train de démontrer
d’abord que notre conscience n’est pas limitée à notre corps, mais
semble s’étendre dans un espace beaucoup plus vaste, explique
Roger Nelson. Ensuite, qu’il semble bien exister une conscience
globale dont nous faisons partie. Scientifiquement, il y a
encore beaucoup à faire pour que cette hypothèse soit validée à cent
pour cent. La première conséquence de cette découverte, c’est qu’il
faudra réviser nombre de dogmes scientifiques sur la nature de
l’esprit, de la conscience, et même de la vie. La seconde est que,
individuellement, elle permet de mieux comprendre que nous faisons
partie d’un tout, que nous sommes tous
reliés les uns aux autres…
»
Dernières
nouvelles : depuis quelques mois, un autre phénomène est également
observé. « Les tracés de cette électroencéphalographie de la Terre sont
en constante augmentation, ajoute Roger Nelson. Comme si la conscience
collective était en train de s’éveiller. » Ce qui peut correspondre au
déclin de l’individualisme qui a prévalu ces dernières années au profit
de la famille, du groupe, du collectif. Un sentiment que beaucoup
commencent à ressentir ou à expérimenter, surtout à une époque où les
catastrophes écologiques et les menaces
politiques invitent à davantage de solidarité et d’intérêt pour
le devenir de l’humanité.
Jung
C’est
Carl Gustav Jung qui, au cours des années 20, a forgé le terme d’«
inconscient collectif ». Il divisait notre inconscient en deux
"territoires" : le personnel et le collectif. L’inconscient
personnel est le produit des expériences propres à chacun de nous.
L’inconscient collectif est né de toutes les expériences humaines
depuis l’aube des temps. Il n’est donc pas uniquement la somme des
inconscients personnels : c’est la mémoire psychique de l’humanité
depuis sa naissance. C’est en lui que, tout au long de notre histoire,
se sont cristallisés les symboles universels – que Jung a appelé les
"archétypes" : le dragon, le héros, le cristal… Ils sont si forts que
Jung avait pu prédire (in “Ma vie”, Gallimard, 2001) la dernière guerre
mondiale bien avant qu’elle n’éclate parce que, en analysant les rêves
de ses patients, il avait remarqué que Wotan – le dieu scandinave de la
guerre – y apparaissait de plus en plus souvent.
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